03 – Contes de Noël – « Le bœuf et l’âne »

Comme chaque soir la porte de l’étable était refermée sur leur chaleur et dans la paille que l’on avait étendue sur leur couche. Le bœuf et l’âne, seuls résidents de cet espace où les lueurs du jour venaient de dessiner leurs dernières ombres, s’apprêtaient à se coucher après avoir échangé quelques propos, toujours les mêmes, sur une journée équivalente à toutes celles qu’ils avaient partagées.

Alors que la dernière mouche venait de se blottir dans les poils de l’âne, la porte s’ouvrit et la nuit pénétra claire et fraîche, apportant avec elle une légère inquiétude ou du moins l’empressement pour un petit équipage de se mettre à l’abri pour la nuit. Nos deux animaux, un œil ouvert sur l’entrebâillement de l’étable, virent arriver près d’eux un homme et une femme accompagnés d’un animal ressemblant à l’un d’eux, si ce n’est qu’il était plus petit et qui, par sécurité ou atavisme, se mit du côté de son congénère : l’âne.

Tout aurait pu reprendre son cours car nos deux compères étaient prêts à accepter le dérangement, d’autant que le petit âne leur avait dit que ce n’était que pour la nuit. Mais avant que cet œil ouvert par curiosité ne se referme sur leurs rêves de ruminants, la femme créa du désordre au point que tous ceux qui occupaient cet espace réduit, où il était impossible de se mettre à l’abri du bruit et des images qui se déroulaient sous leur toit, ne purent pas dormir.

La vie s’étant reproduite, la mère et l’enfant ayant retrouvé leur calme, le père se laissa aller, après toutes ces émotions. Le sommeil pouvait donc reprendre sa place et il était grand temps que la nuit ruisselle sur l’esprit de chacun.


–         Mon cher ami, nous allons pouvoir dormir, dit l’âne au bœuf, soulagé que tout soit enfin terminé.

–         Ton cher ami s’appelle Mithra et si tu le permets, je souhaite continuer à t’appeler Priape.

–         Comme tu voudras.

–         Ce n’est pas comme je veux, c’est comme ça, qu’il y ait du monde ou pas.


Le couple à l’enfant s’agita dans la paille, sûrement dérangé pas nos deux compères.

–         Je crois que nous gênons, dit l’âne.

–         Il ne manquerait plus que ça. Il me semble que nous sommes encore chez nous, dit le bœuf.

–         Messieurs, glissa à voix basse le petit âne, veuillez nous excuser mais mes maîtres sont à bout de force et nous ne pouvions pas aller plus loin.

–         C’est bon… Dormons… à demain.


La mouche avait retrouvé sensiblement sa place, lorsque la porte de l’étable s’ouvrit à nouveau. Et dès lors, ce ne fut qu’un immense défilé d’individus allant du berger au prince, du ménétrier au roi, sans compter les animaux en tous genres qui se joignirent à eux pour venir se pencher sur ce nouveau né qui avait perturbé le sommeil de nos deux héros. Il fallut attendre le matin pour qu’ils retrouvent enfin leurs habitudes, après qu’on les eut salués comme des bienfaiteurs de l’humanité.

– Je ne sais pas ce que tu en penses, Priape, mais il me semble que cette nuit ne fut pas une nuit ordinaire et que nous allons peut-être rester dans les annales de cet événement.

– Mon pauvre Mithra, répondit l’âne, tu es fier et orgueilleux comme un bœuf que tu es et je crains que ton imagination te joue des tours. Sache que ce n’est qu’une bande d’égarés qui sont passés là, comme des marchands de quatre saisons ou des diseurs de bonne aventure se précipitant au marché pour écouler leur trop de légumes ou le débordement de leurs rêves. Tant que tu y es, dis-moi que nous avons côtoyé des princes et des rois, des marchands et des marins.

– Exactement, lui répondit le bœuf qui commençait à s’échauffer, il est passé cette nuit, agenouillés sur notre paille, des princes et des rois, à tel point que j’en viens à me demander si cet enfant né sous nos yeux, quasiment entre nos pattes, n’était pas encore plus important qu’il n’y paraît, au vu de tous ceux qui sont venus le voir avec des cadeaux et des prières.

– Mon pauvre Mithra, dit l’âne en se moquant, une bonne sieste là-dessus et tout rentrera dans l’ordre. À ton âge, une nuit blanche suffit pour déranger ton esprit de bovin fatigué.

– Je te rappelle que c’est toi l’âne et qu’en la matière, tu fais soudainement office d’étalon.

-Ah ! Tu cherches la brouille !

La porte de l’étable s’ouvrit sans que cela ne les perturbe ; après tout, ce n’était qu’une habitude à prendre. Mais lorsque le propriétaire des lieux vit le spectacle laissé par la nuit, il les rabroua pour s’être agités de la sorte et avoir foulé et brisé autant de paille qu’un troupeau tout entier.

Texte d’André Ricros

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