La Vicoise

Cette bourrée est jouée ici par Maurice Lescure, accordéoniste de Salins (canton de Mauriac, Cantal), enregistré le 18 janvier 1990 par José Dubreuil.

L’accordéon chromatique s’est particulièrement bien implanté dans le Cantal, au cours du XXe siècle, jusqu’à devenir l’instrument populaire par excellence, tous styles confondus. Représentant indétrônable du genre musette, il est avant tout un instrument permettant de jouer à la fois la mélodie et l’accompagnement harmonique et rythmique. C’est à notre avis cette propriété qui en fait un instrument fort prisé, permettant alors aux musiciens d’exprimer facilement la musique qu’ils ont dans la tête.

C’est le cas ici. Cette bourrée, fort connue des musiciens traditionnels d’hier et d’aujourd’hui, a tendance, comme tous les morceaux très répandus, à se standardiser : « Non ! c’est pas comme ça qu’on la joue ! ».

Sauf que Maurice Lescure ne se pose pas la question de savoir quelle est la bonne version, il en a une bien à lui, qu’il jouait avec Fantou d’Ally (alias Guillaume Dumont, cabrettaire). La question du « comment jouer ? » s’applique plutôt aux effets, au style, au rendu.

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La mélodie est très ornementée, ce qui lui donne de la souplesse et du rebond à la fois. Le contraste entre les notes piquées (tombant sur les appuis des premiers temps) et les notes ornées allongées (tombant sur les deuxièmes temps) est particulièrement dynamique. Par rapport à la version standard, le motif du début est triplé (et non doublé), ce qui est particulièrement fin : la carrure en huit mesures du morceau est alors cassée, passant à dix, ce qui est plus surprenant pour le danseur, bien vu ! Idem pour la seconde partie : on croit qu’on va s’établir sur huit mesure, mais non ! sept c’est suffisant ! On a donc une bourrée « irrégulière » comme on dit, ne s’installant jamais dans la routine. La carrure agit bien sûr sur la mélodie qui présente quelques variantes.

L’accompagnement est tout aussi intéressant : on retrouve l’influence du musette, aux couleurs « ibériques » (voir le trait d’introduction, aux basses), mais la bourrée l’emporte simplement : un seul accord, tout le long, avec une tentative de changement dans la deuxième partie, mais c’est une fausse alerte. Les basses et les accords sont piqués et ne s’arrêtent jamais. Tout cela représente un merveilleux bourdon rythmique d’une efficacité redoutable. Par-dessus, la mélodie ornée semble s’envoler, rentrant parfois dans le rang avec ses découpes métronomiques en doubles croches de la deuxième partie qui soutiennent très bien le pas. Le tout s’articule avec beaucoup de dynamisme : on entend le musicien très engagé dans son jeu, sa voix suivant nerveusement et inconsciemment l’accordéon.

Pour résumer : de la cadence, de la souplesse, de l’énergie. Là est la musique, tout le reste (c’est-à-dire les notes, « bonnes » ou « mauvaises ») est beaucoup moins important ! La musique traditionnelle a cela d’intéressant qu’on peut la triturer, changer la mélodie ou le rythme à son gré pour s’exprimer pleinement. Alors, comme Maurice Lescure, faisons-nous plaisir, varions, tentons la surprise : la seule autorité, c’est vous !

Eric Desgrugillers

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