L’aumône…

Période de Pâques oblige, nous vous proposons d’écoutez un réveillez « Jésus s’habille en pauvre » (chant de quête des œufs) qui est chanté par Jean Chabosy, enregistré  par José Dubreuil le 02/03/1989 et le 17/03/1989 à La Renaudie, près de Larodde, canton de Tauves dans Puy-de-Dôme. Deux versions sont enregistrées, les voici toutes les deux.

Version du 2 mars

 

Version du 17 mars

Dès le début Jean Chabosy nous installe dans une pulsation qui n’est pas la cadence de marche habituelle des chants de Réveillez, mais qui s’approche ici très fortement du rythme de la bourrée. On en retrouve dans les deux extraits des éléments musicaux essentiels et constitutifs, en particulier l’alternance d’accents et de notes allongées, créant alors un balancement reconnaissable entre tous et dans lequel Jean Chabosy excelle. Le chanteur s’accompagne également des pieds produisant un moteur rythmique solide qui lui permet de placer ses accents et de respirer de façon inattendue, comme si cette mélodie ne s’arrêtait jamais. Ultime référence au chant à danser, le troisième couplet montre l’utilisation d’une syllabe atone à des fins rythmiques : « les chiens m’apportent des lièvres ». Le « ent » muet ne l’est pas : il est exécuté sur une note morte, c’est-à-dire présentant une réalité rythmique, une durée, mais sans hauteur définie. Cette façon de faire est particulièrement efficace pour faire danser, et, dans notre cas présent, pour donner du rythme, voire mener le chant.

Le répertoire des réveillez est soumis aux différents styles et puisent abondamment dans les savoirs-faire musicaux de nos territoires.

Jetons un œil à la partition (transcrite par Mira Cassan, qui a eu la bonne idée d’écrire tous les couplets à partir de la version du 2 mars, et complétée après par celle du 17 mars).

0002 (20) et 0003 (11)

On remarque que les deux versions se tiennent, tant par la cadence que par le contenu de la mélodie et des paroles, comme si la chanson était gravée dans le marbre de sa mémoire. Il y a quelque chose de l’ordre de l’inconscient, du « malgré lui », et à la fois une véritable maîtrise de son art. Cependant, quelques variations notables attirent notre attention. Sur le second couplet, des paroles manquent dans la version du 2 mars, mais sont présentes dans l’autre version. Le chanteur s’adapte alors, sans couper le fil de la chanson qui se déroule quoi qu’il arrive !

Dans le cinquième couplet, la reprise du deuxième vers donne lieu à une variation mélodique intéressante (on arrive à la note finale soit par-dessus : ré do; soit par en-dessous : si do). Le choix des variantes est le même dans les deux versions, mais inversé : dans tous les cas la répétition est masqué, et le propos du couplet est mis en valeur. D’ailleurs, dans la version du 17 mars, cette variante, sonnant comme une conclusion, lui dicte de s’arrêter. Le chanteur conduit la mélodie en braquant à gauche ou à droite, de toute façon le point d’arrivée étant le même (la « clarté »), on peut varier les chemins.

Le dernier couplet, en occitan, est typique de ce répertoire à référence religieuse. Cette morale en langue vernaculaire sonne comme un appel, venu d’on ne sait quelles profondeurs. Dans la version du 17 mars, le dernier couplet en occitan n’existe plus. La chanson est gravée dans la mémoire, mais la mémoire reste sélective. Cependant la chanson traditionnelle s’est donné tous les moyens de se transmettre : il manque des couplets, qu’importe ! l’histoire est là, on la reconnaît, pas de doute ! On peut varier à loisir, oublier certains couplets n’entame pas en profondeur la chanson. Pour preuve : l’autre mélodie sur laquelle le chanteur commence, au début de la version du 2 mars, avant de se corriger.

Pas de risque, elle peut voyager au cœur de la nuit, d’une bouche à une oreille et d’une mémoire à l’autre, la chanson sera encore là, à réveiller qui voudra bien l’entendre.

 E. Desgrugillers

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