FAIRE SOCIETE – Le Rôle des Musiques et Danses dans les territoires par Max LEGUEM

Communication de Max Leguem, président de la FAMDT / Les cultures de l’oralité comme réponse aux problématiques territoriales


Mesdames, Messieurs, Cher(e)s ami(e)s,

Je souhaite tout d’abord m’excuser auprès de vous et vous dire combien je suis navré de ne pas être présent à vos travaux comme je m’y étais engagé.

Mon ami, David De Abreu, Directeur de l’AMTA, m’a demandé à travers mon expérience professionnelle au sein des Maisons de Jeunes et de la Culture mais aussi en tant que président de la Fédération des Associations de Musiques et danses Traditionnelles, de réfléchir et de vous livrer mes réflexions sur le thème « faire société ». Je tiens à dire combien ma réflexion s’est nourrie des échanges que j’ai pu avoir avec André RICROS que je salue fraternellement.

Par société on entend un ensemble d’individus unis au sein d’un même groupe par des institutions, une langue, une culture, des gouts, des activités, …. Des intérêts communs. Tout ceci constitue des liens, liens qui parfois nous enchainent, liens qui souvent permettent la solidarité et l’entraide, liens qui souvent, aussi curieux que cela puissent paraître, nous libèrent. Dans tous les cas, ces liens unissent des personnes entre elles. Cette union n’est pas forcément joyeuse, harmonieuse, ni même amicale ou amoureuse. Cette union est même très souvent conflictuelle, voire même porteuse d’une conflictualité à jamais inachevée (prenons par exemple pour illustrer ce que je viens de dire, le lien qui unit les hommes aux femmes….). Pour ma part, J’ai passé ma vie à « m’engueuler » avec mon père mais si je l’appelle, je sais qu’il sera toujours là et moi de même. C’est comme ça. C’est ça le lien. Je me suis toujours senti lié, aux autres, à ma famille, à mes collègues de travail, au monde, à la nature, aux animaux. Ce lien est aussi un lien avec le passé, avec les ancêtres mais aussi avec les générations futures. On est lié ou on ne l’est pas. L’amour et l’amitié ne sont qu’un complément de ces liens. Je pense par exemple qu’avant l’arrivée du « management », les ouvriers même dans un rapport de lutte des classes, étaient liés à leur patron.

  Le sentiment d’être lié dépasse en effet les convictions politiques, philosophiques ou religieuses. Je suis un homme de gauche, je pense l’être profondément, tripes et boyaux. Mon expérience professionnelle m’a toutefois amené à travailler dans différentes communes où j’ai eu à faire à des élu(e)s de toutes obédiences. Je peux vous dire aujourd’hui que la vraie fracture humaine entre nous ne se faisait pas sur nos divergences politiques. Elle se faisait entre ceux qui comme moi se sentaient reliés au monde et les autres, ceux qui se vivaient déliés, ne voulant appartenir à rien.

 Etre relié, cela signifie aussi être affecté, se sentir affecté. Je constate tous les jours combien nous sommes de moins en moins nombreux à être affecté par le monde. Il semblerait que la société postmoderne ait créé des individus déliés qui parce qu’ils ne veulent ou ne savent plus être affectés, pâtissent. Oui, ils pâtissent. Ils sombrent alors dans la tristesse et l’impuissance. D’ailleurs chez ces personnes, le sentiment de culpabilité qu’elles ressentent, correspond bien souvent à « un lien écrasé » comme la vieille maman qu’on laisse croupir à l’hospice. Tristesse et impuissance deviennent les deux mamelles de nos sociétés dîtes civilisées. J’ai d’ailleurs souvent l’impression que la démocratie, si l’on y prend garde, risque de devenir l’art de gérer cette tristesse et cette impuissance. J’en veux pour preuve qu’il ait fallu un clown, Coluche, pour trouver un moyen de donner à manger aux plus pauvres dans la cinquième puissance mondiale.

 C’est pour toutes ces raisons, je pense, que j’ai choisi  d’exercer ce beau métier de Directeur de MJC. L’article 1 de nos statuts stipule : « La MJC est ouverte à tous ». Pas seulement aux jeunes, ni aux adhérents. Non à tous. Cela signifie que pour nous la société est tout le monde.  Ça, c’est compliqué. Tout le monde, ça signifie aussi celui qui n’est pas comme moi, qui ne pense pas comme moi, qui me fait peur, qui représente le « négatif ». Nous touchons là à mes yeux une autre notion essentielle dans la question du « faire société ». Ce qu’on appelle bien souvent « société », est en fait un sous-ensemble de la société elle-même. Il y a ceux qui font partie de ce sous-ensemble, qui regardent et jugent les autres et ceux qui n’en font pas partie et qu’il va falloir « intégrer »… parce que ce sous-ensemble est généreux. Coluche appelait ça « le milieu autorisé ». Milieu autorisé qui s’autorise des trucs. Moi j’appelle ça la norme. Qu’est-ce que la norme ? Si j’avais à résumer la norme, je dirais tout ce qui est invisible dans l’espace public. Si vous devenez visibles, alors vous n’êtes plus dans la norme et là, le sous-ensemble que l’on appelle société va s’occuper de vous. Je constate qu’aujourd’hui de plus en plus de gens ne sont pas dans la norme. Par exemple on peut citer dans le désordre : les jeunes, les vieux, les handicapés, les immigrés, les chômeurs, les RMISTES, les élèves en échec scolaire… La liste est longue. Pour chacune de ces catégories, pas dans la norme, on va mettre en œuvre des politiques publiques… pour les intégrer.

D’où cela vient-il ? En 1529 le frère Bartholomé de las Casas revient pétrifié de son voyage en Amérique du sud où il y a vu le génocide des Indiens perpétré par les Espagnols. Ce génocide est perpétré sous le motif que les Indiens ne seraient pas des êtres humains et qu’ils n’auraient pas d’âme. On organise donc un débat d’hommes d’église, la fameuse Controverse de Valladolid, durant laquelle Bartholomé va se battre pour faire accepter l’idée que les Indiens sont des êtres humains. Il va remporter ce combat mais sur un compromis : Oui les Indiens sont des êtres humains mais à l’humanité  « non accomplie ». C’est à la fois une victoire, l’idée de l’universalité de l’homme, mais aussi une catastrophe philosophique que nous continuons de vivre aujourd’hui : l’idée, comme dirait Coluche, qu’il existerait des humains plus humains que d’autres. Cette idée aura été l’une des bases du colonialisme : nous allons apporter la civilisation aux sauvages. Je m’approche tout doucement du sujet qui nous concerne. La civilisation du sauvage ne s’est pas faite qu’en Afrique. La République l’a aussi perpétré dans nos régions, en France, en Corse comme en Bretagne ou en Auvergne. On a voulu ainsi déposséder des hommes et des femmes de leur culture, de leur langue, de toutes ces choses comme disait Aimé Césaire, qui ont été inventées par l’homme « pour rendre la vie vivable et la mort supportable ». Il n’y a pas si longtemps un président de la République a osé dire, en visite à Dakar, que : « l’homme Africain n’était pas suffisamment entré dans l’histoire ».

En ce qui concerne nos politiques culturelles, elles ont pratiquement toutes été pensées selon ce même schéma intellectuel. Il n’y a qu’à voir les programmateurs des salles de spectacles dont la mission est d’éduquer le peuple au beau, la musique classique enseignée dans les conservatoires, « le violoniste et le violoneux ». Je me souviens d’une Maire adjointe à la culture qui en visite dans ma MJC, voyant des jeunes faire du RAP m’avait dit : « c’est bien pour commencer ».

Comment peut-on faire société quand une toute petite partie de la société regarde les autres comme des catégories à intégrer ? Cela était possible avec le plein-emploi, avec le logement HLM pour tous, la santé gratuite, les colonies de vacances, quand la réussite scolaire était garante de l’ascension sociale. Quand l’avenir était une promesse et que la République tenait ses promesses. Quand l’avenir devient une menace, que l’ascenseur du HLM est en panne, que le jeune des quartiers populaires a vu son père être licencié et que lui-même galère à trouver du travail malgré ses diplômes cela ne devient plus possible. L’universel abstrait de la philosophie des lumières ne fonctionne plus.

Le risque est alors de se tourner vers ce que l’on appelle le « relativisme culturel ». Le relativisme culturel c’est justement l’idée qu’il n’y a pas d’universalité. Toutes les cultures seraient respectables mais incompréhensibles les unes pour les autres. Elles ne pourraient pas muter. Toujours un de nos Présidents de la République a pu ainsi dire lors d’un voyage en Chine, que les droits de l’Homme avaient un «  sous bassement culturel qui ne pouvait pas s’appliquer à ce pays ». Je traduis donc qu’un Chinois sous la torture ne ressentirait pas les mêmes souffrances qu’un Français. Plus sérieusement, le relativisme culturel conduit selon moi à la xénophobie, au racisme, à la peur de l’autre, à la guerre civile.

Entre ces deux écueils, mon expérience professionnelle et personnelle m’amène donc à proposer humblement, une troisième voie qui pourrait être un universel concret. Cette conception du faire société reprend les éléments qui ont été énoncés plus haut :

  • Pour faire société il faut y trouver un intérêt. Cet intérêt passe par le fait de retrouver de la puissance pour agir grâce à la société. De toute mon expérience j’ai pu observer combien l’agir était lié à la multiplicité des liens. Agit celui qui entretient des lieux familiaux, syndicaux, sportifs, musicaux, religieux… Est en lien avec le monde celui qui en est affecté. Augmenter la surface d’affectation des personnes, c’est faire société. Les musiques et danses sont un excellent moyen d’augmenter cette surface d’affectation.
  • Pour retrouver de la puissance d’agir, il faut sentir que l’on a prise sur les choses. C’est pourquoi, agir et penser local, me semble être essentiel aujourd’hui pour faire société. Le local doit être l’universel à partir duquel on réfléchisse le monde et non le contraire. La vie telle qu’elle est ici et maintenant. Les musiques et danses d’ici, d’où qu’elles soient et d’où qu’elles viennent, dès l’instant où elles sont pratiquées et vivantes, redonnent prise sur l’agir.
  • Si la société est tout le monde, le but alors n’est plus d’intégrer mais d’inclure. Inclure, c’est faire avec et vivre ensemble. Les musiques et danses n’aident à faire société que si elles acceptent la mutation. Jean Jaurès qui était partisan des langues régionales disait : « La tradition, ce sont des braisent que l’on entretient, ce ne sont pas des cendres qu’on conserve ». Inclure, c’est aussi traiter avec une égale dignité. Il faut cesser avec la culture du centre et de la périphérie. La France est un pays civique et politique. Il n’est pas un pays culturel et religieux. Cela signifie qu’il est indifférent aux religions et aux cultures. Cela signifie qu’il doit les traiter avec une égale dignité sans quoi il y a domination.
  • Vivre c’est perdre. Faire société c’est donc aussi accepter la perte. On ne peut pas tout garder, sauf dans un musée. Plus exactement, rien ne se perd, tout se transforme. Il en va de même pour les musiques et danses.
  • Faire société, c’est rechercher le socle commun. Il ne s’agit pas de réunir le séparé en tant que séparé. Il s’agit de le réunir sur un socle commun. Le commun n’est jamais donné au départ. Le commun est le fruit de pratiques communes. Les musiques et danses sont des pratiques communes.

En 1979, Margareth Thatcher, nouvellement élue Premier Ministre du Royaume-Uni déclarait : « La société n’existe pas. Il n’existe que des individus ». Vous l’aurez compris, je ne partage pas cette idéologie. Je pense que nous sommes liés. Un trader assis derrière un terminal informatique et qui joue à spéculer avec des milliards se vit comme délié du monde. Pourtant ses actes vont avoir des répercussions parfois très graves. Il va peut-être mettre des salariés au chômage ou provoquer une famine. Oui nous sommes liés. Moi qui vis en banlieue parisienne je suis parfois ému par le travail de nos élus. Dans la communauté d’Agglomération d’Evry où je travaillais, on comptait 162 nationalités. Presque le monde entier. Malgré les tensions, les heurts, les conflits, nous vivons ensemble. Nous allons à l’école, sommes inscrits au club de foot, allons à la MJC et à la médiathèque, à la piscine, partageons un repas de quartier, faisons nos courses aux mêmes endroits… Cela ne va pas de soi. Quand je regarde le journal télévisé, je me dis même que cela est un petit miracle. Les élus qui gèrent ce territoire font vivre tous les jours sans même s’en rendre compte, ce petit miracle : une citoyenneté mondiale. Le vieux rêve des lumières. C’est donc possible. Ils ne savent pas que c’est possible alors ils le font tous les jours.

Je vous remercie.

Max LEGUEM

Président de la FAMDT

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