Rossignolet bu bois

La chanson dit : « Le printemps est venu, j’entends les alouettes… »

Dans la chanson de transmission orale (c’est-à-dire qu’on entend et qu’on redit), quoi de plus naturel de parler des oiseaux? D’autant plus si l’oiseau en question est reconnu dans l’imaginaire populaire comme un bon chanteur !

rossignol image

Le rossignol, qu’on entend la nuit et qu’on voit peu, et dont le chant surprend celui qui l’écoute, cristallise suffisamment de mystère pour tenir le premier rôle, même si l’alouette n’est pas loin. On lui met tout sur le dos : il doit supporter les peines des humains, traduire leur langage, leur apprendre à parler d’amour, apporter des lettres, délivrer des messages, chanter pour annoncer un malheur, ou un bonheur plus rare… Tant à faire qu’il en perd le sommeil, comme le suggère le mimologisme qui nous a été transmis par Paul Flory, de Cenat :

Quand la vinha possa, possa, possa, ieu poù pas durmir

(« Quand la vigne pousse, pousse, pousse, moi je ne peux pas dormir », c’est ce qu’on entend en auvergnat quand on l’écoute attentivement….)

Toujours est-il que pour chanter l’amour dans la tradition orale, l’homme peut rivaliser avec le rossignol. Jean Dumas, le cueilleur de chansons, a enregistré plusieurs versions du célèbre « Rossignolet du bois » qu’il a rassemblées sous le titre type « La leçon d’amour ». Son travail méthodique permet aujourd’hui de mettre à jour des phénomènes concernant la transmission des chansons et leurs modes de fonctionnement.

Dans ce cas précis, les paroles des différentes versions sont très semblables, mais les mélodies se distinguent beaucoup. Jean Dumas a tout noté consciencieusement sur des fiches qui sont faites de la même façon et permettent la comparaison.

Voici la version chantée par Virginie Granouillet, dentellière de Mans (Haute-Loire), enregistrée le 1er novembre 1958 :

La mélodie est étrange, cela est principalement dû au mode utilisé : à la première écoute on entend un mode de ré, mais la tierce a tendance a devenir majeure à la fin du couplet, et (ce qui n’est pas noté sur notre partition) la quarte est haute, surtout dans la première mesure. Par ailleurs la septième est présente, en haut et en bas, et reste dans l’oreille.

0161

Notre notation est simplifiée et ramenée en ré pour mieux comprendre, mais voici celle de Jean Dumas :

Fiche 0161

La notation en quadrichromie permet de voir de façon directe où la mélodie bouge et comment. On voit que les variations sont fines, infimes, mais nombreuses et que Virginie Granouillet adapte légèrement sa mélodie à chaque couplet. Cette souplesse, cette richesse, si elle est récurrente chez cette chanteuse, semble assez typique de cette chanson.

Voici une version surprenante, interprétée par Remy Collonge, un agriculteur de La Croix de Muratte (Puy-de-Dôme), enregistré par Jean Dumas le 14 juillet 1960.

Le chanteur commence sa mélodie sur un mode qui semble stable, mais, comme beaucoup de chanteurs, il monte légèrement d’un couplet à l’autre, la balance se faisant ici sur la dernière note de la première phrase, très fluctuante sur les trois premiers couplets. Puis, tout en gardant son aspect étrange, la mélodie se stabilise.

Fiche 0486

Nous voyons ici que Jean Dumas n’a pas utilisé la quadrichromie, et a tenté de noter la version stabilisée, déjà très complexe, comme en témoignent les coups de crayon effacés. Les ornements sont notés en croches, les notes tenues avec des points d’orgue. Les altérations traduisent de façon assez précise l’ambiguïté modale. Très curieusement, alors que la mélodie est différente, on retrouve le même mode que la version de Virginie Granouillet, avec les mêmes notes mobiles.

Ne nous arrêtons pas là. Voici la version d’une autre dentellière, Henriette Usson, dont la voix fait penser indiscutablement à un rossignol, ou tout autre oiseau haut perché dans les airs :

Il nous semble que ce que l’oreille perçoit en premier est la beauté de cette mélodie. La clarté de la voix, ainsi que le justesse du phrasé musical mettent vraiment en valeur l’aspect mélodique. Le mode utilisé ici est clair : il s’agit encore d’un mode de ré, mais cette fois assez stable.

Cependant, en bon connaisseur de la chanson traditionnelle et de son mode de fonctionnement, Jean Dumas a rajouté un commentaire sur sa fiche, sous les paroles :

Fiche 0586

Les deux premiers vers ne sont pas « standards » et le début de la mélodie est emprunté à une autre chanson : La barbière, qui est chantée dans le même mode et dans le même style. La proximité des ambiances dans les chansons permet ce type d’échanges de motifs mélodiques, procédé très courant qui suit à notre avis les méandres de la mémoire. Il ne s’agit pas d’une erreur, mais d’une variation, et il est très probable qu’Henriette Usson ait fixé cette version. Jean Dumas a noté sur sa fiche au crayon, à titre de comparaison, laissant ainsi la possibilité au futur interprète de choisir, l’adéquation entre la mélodie des deux derniers couplets et le vers standard que l’on trouve dans la plupart des versions : « Rossignolet du bois /rossignolet sauvage ».

Ce premier couplet, avec son emprunt, nous rattache aux deux versions précédentes, mais les deux autres couplets font penser, même s’ils sont différents, à la version qui été popularisée à partir de la notation de Joseph Canteloube, dans le recueil « La bourrée » :

La Bourrée - couv2

Rossignolet du bois - bourrée

Cette version a été enregistrée plusieurs fois sur des disques 78 tours, à Paris, par des musiciens venant du Massif Central (Disques Lagriffoul et Le Soleil).

Les orchestrations, avec orchestre, accordéon ou cabrette, actualisées dans les styles à la mode de la première moitié du vingtième siècle, témoignent de l’engouement pour ce répertoire. En conservant le rythme libre, valorisant la beauté de la mélodie notée par Joseph Canteloube, cette chanson a permis à de grandes chanteuses comme Marie Lagriffoul de s’exprimer, ici accompagnée à l’accordéon par Ernest Jailler (78t. Lagriffoul n°343, coll. AMTA) :

Cette interprétation sensible n’est pas totalement fidèle à ce qui est noté sur la partition des éditions Lagriffoul, mais peu importe. Les disques et les petits formats semblaient se vendre comme des petits pains, et permettaient aux musiciens de la communauté de reprendre leurs « tubes » et d’avoir un répertoire commun. Chaque maison de disque avait sa chanteuse et son accordéoniste. Chez Martin Cayla (disques Le Soleil), c’était Suzanne Pradal, et son mari Jean.

Suz Pradal

Voici sa très belle version, accompagnée à la cabrette non tempérée par Marcel Bernard et par un guitariste aux accords parfois étranges (disque 78t. Le Soleil n°141b, coll. AMTA) :

La chanteuse à la voix large, vibrante et expressive reprend systématiquement la première partie, et mène la mélodie comme elle l’entend, les musiciens la suivant ou l’attendant. La tonalité est plus aiguë que la version de Marie Lagriffoul, mettant en valeur le timbre mixte de Suzanne Pradal, toujours plein du grave à l’aigu.

L’aspect mélancolique est commun à ces deux versions, et se retrouve également dans la tradition orale, au pays. Dans quel sens s’est faite l’influence, s’il y en a une ? C’est difficile à dire. Voici alors une dernière version, chantée par Pierre Baraduc de Condat, dans le Cézallier, enregistré par Max Dérobert au début des années 1960. Cette interprétation magnifique semble mixer les deux, l’influence des versions parisiennes (on reconnaît la mélodie notée par Canteloube, à quelques variations près) et la souplesse des versions « vernaculaires » (dans les paroles et le phrasé).

 

L’attaque se fait sur la septième, introduisant une couleur majeure en début de couplet. On entend donc une balance entre deux modes, majeur et mineur, sans qu’aucun ne recouvre l’autre. On retrouve ce phénomène dans de nombreuses chansons. Ici, le mode est stable et ne présente pas vraiment de notes mobiles, si ce n’est que le chanteur monte légèrement sur certaines notes de fin de phrase. Les notes sont tenues dans tous les sens du terme, dans la durée et dans la voix, avec un vibrato assez fin et franc à la fois, rappelant le style des chants de labour.

Pierre Baraduc au centre, et à sa gauche, Antonin, autre chanteur de la famille (coll. Max Dérobert)
Pierre Baraduc au centre, et à sa gauche, tête découverte, Antonin, autre chanteur de la famille (coll. Max Dérobert)

Chanter à tue-tête, en plein air, partout, sans demander son reste, n’est pas réservé aux oiseaux! Le printemps est venu, alors, qu’attendez-vous?

Eric Desgrugillers

 

 

 

4 Comments

  1. Angers

    Bonjour, très intéressant.

    Dans son livre »Le rossignol y chante »,première partie du Répertoire de la chanson folklorique française au Canada,Marius Barbeau (1883-1969) développe aussi ce thème. Éditions des ©Musées nationaux du Canada, 1979, Ottawa N° de catalogue NM 93-175/1979F – ISBN 0-660-00140-3. À votre disposition si vous souhaitez plus de renseignements.

  2. Juliomagus

    Bonjour, très intéressant.

    Dans son livre »Le rossignol y chante »,première partie du Répertoire de la chanson folklorique française au Canada,Marius Barbeau (1883-1969) développe aussi ce thème. Éditions des ©Musées nationaux du Canada, 1979, Ottawa N° de catalogue NM 93-175/1979F – ISBN 0-660-00140-3. À votre disposition si vous souhaitez plus de renseignements.

Répondre à Angers Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.