Si vous saviez….

Cette bourrée en trois parties, connue sous le titre : « Si vous saviez jeunes fille », est jouée par Jean Pradal à l’accordéon chromatique et est extraite du CD « L’accordéon en Auvergne », coll Ethnic, Auvidis-Silex.

https://amta.fr/wp-content/uploads/2013/10/Si-vous-saviez-jeunes-filles.mp3

Le style général de ce morceau sonne à nos oreilles comme typique de la colonie Auvergnate à Paris de cette époque (années 1920-1930), un accordéon à la fois nerveux et léger, une certaine ambiance, une certaine chaleur (on entend l’instrumentiste qui chantonne en même temps qu’il joue, à moins que ce ne soit la voix de Martin Cayla, adepte de ce genre d’exercice et dont le timbre est le même…), on y voit presque l’image d’un sourire et d’un chapeau…

Jean Pradal (détail d'une partition des éditions M. Cayla)

Ne nous fions pas aux apparences musicales datées (c’est-à-dire au son ancien du 78 tours), ni aux clichés qui ont la vie dure. N’interrogeons que la musique. Le style est enlevé, énergique, un peu à la façon du jazz manouche, musique cousine de celle des auvergnats de Paris. Ce qui saute aux oreilles derrière les craquements du disque, c’est le « phrasé » de Jean Pradal. Ce terme, souvent fourre-tout, est on-ne-peut-mieux illustré ici : l’accordéon chante, parle, on a l’impression qu’il dit des mots.

Si vous saviez jeunes filles partition

Le musicien alterne dans la mélodie toute sorte d’ornements : des notes piquées, allongées, des petites notes (traduites dans le jeu par des coups de doigts), des mordants, un trille, tout cela dans un ordre bien choisi. Les notes piquées et les petites notes sont l’apanage de la première partie, les notes allongées de la deuxième, la troisième partie est plus calme avec deux petites notes et un trille, timide, mais bien là. Les mordants sont présents tout le long des trois parties. Chaque ornement a une incidence sur la durée de la note, l’allonge ou la raccourcit, au besoin. Ces effets donne une mélodie très vivante, façonnée à la façon d’un discours. D’autant plus que des formules rythmiques complexes (en particulier dans la partie B) viennent casser la découpe en trois temps : jamais la mélodie ne présente la formule de base « croche-croche-croche »

Le soutien de l’accompagnement n’y est pas pour rien non plus. On retrouve là le style élémentaire des joueurs de bourrées qui allongent la basse et piquent l’accord. C’est l’accompagnement qui donne le rythme du pas (1,2,3), le cadre, la mélodie jouant avec les limites rythmiques. Mais l’accompagnement n’est pas monotone pour autant : il est fait pour soutenir cette mélodie singulière, la doublant parfois aux basses (au début de la troisième partie), et calquant les changements d’accords avec les grands moments mélodiques. Tout coule, mais avec énergie. C’est donc fait pour danser, sans doute possible !

Notons au passage le changement de mode (mineur – majeur), vraisemblablement joué pour deux raisons : la mode de l’époque d’abord, où bon nombre de mélodies alternent les deux modes, puis « l’imitation » probable du jeu de la cabrette. L’accordéon ne pouvant pas, comme la cabrette, exécuter de tempérament non-tempéré, une note est soumise au bémol de façon à ce que l’ambiguïté modale soit constante.

Tout ce dont nous venons de parler est bien évidemment soumis à de multiples variations mélodiques et rythmiques très fines, d’ornements changeant  aussi d’une tourne à l’autre : rien n’est figé, rien n’est acquis : il y a de la spontanéité dans l’air, quelque chose d’insaisissable qu’un éditeur de disque a eu la très bonne idée de graver il y a près de 80 ans. Merci pour lui!

Eric Desgrugillers

Pour aller plus loin :

La musique des Auvergnats de Paris vous intéresse? cliquez là puis aussi ici

7 Comments

    1. Oui, il y a des paroles, mais difficilement adaptables sur cette version-là. Voici celles qui sont chantées par Maria Tavès de Champs-sur-Tarentaine (enr. A. Ribardière) :

      Se sabiatz drolètas jamai vos maridariatz (bis)
      Restariatz solètas, gardariatz la libertat
      Se tornavià viuva, la tornarià ratapar

      (traduction :
      Si vous saviez jeunes filles, jamais vous ne vous maririez
      Vous resteriez toutes seules, vous garderiez la liberté
      Si je devenais veuve, je la retrouverais)

  1. felgines géraud

    merci de parler de cette bourrée parce qu’aujourd’hui personne (je parle de nos grands compositeurs régionaux…..)n’ont étaient capable de sortir une bourrée aussi entrainante, avec une rythmique diabolique je me lasse pas d’écouter ce lozérien accordéoniste qui a inspiré mon accordéoniste préféré JEAN PONS, comme quoi la transmission marche bien
    merci encore pour cet article

Répondre à Eric DESGRUGILLERS Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.