La Vouivre (6/6)

Ce soir-là, devant la porte de l’église, les hommes étaient là et en retrait, toute la population pour écouter.

Je vous ai fait venir car il n’y aura pas d’issue favorable pour nous. Ces trois bêtes se font une guerre sans merci sous nos pieds et ce sont des énergies qui ne s’additionnent pas dans le bon sens. Les pierres bougent et les trois vouivres prennent le dessus. Voilà ce que l’on va faire. Mais je ne vous garantis pas que ça réussira. Chaque groupe se placera devant la pierre qu’il a planté, plus quelques hommes pour la vouivre de la Truyère que j’ai calée tout seul. Je prendrai une torche et à mon signal, que j’enverrai du château pour que tout le monde le voie, vous les arracherez le plus vite possible. Si les pierres partent en même temps, vu la force avec laquelle elles tirent dessus, ça pourrait les expédier dans un autre monde et j’espère, celui d’où elles viennent. Si ça ne marche pas, ça en sera fini de nous. Quant à ceux du village qui ne seront pas utiles, allez à Villedieu. Là, vous serez en sécurité. Départ dans quelques heures. Nous allons opérer de nuit, car c’est là que les forces sont les plus fortes.

Tous étaient arrivés sur leur site, avaient fait de grands feux pour que chaque pierre soit bien éclairée et étaient prêts à l’arracher avec masse et levier.

Le signal s’éleva au sommet du château et les pierres sautèrent dans la seconde qui suivit.

Ce que virent les hommes, personne ne le rapporta.

La terre trembla à tel point qu’ils durent s’accrocher aux arbres, voyant sous leurs pieds la pierre s’agiter et glisser comme des écailles de poisson. Là-bas au château, un bruit épouvantable se fit entendre et juste après qu’Heval Arfeuille eut pris la fuite vers les bois, les pierres de la cour volèrent en éclat et partirent en fumée pour libérer trois têtes hurlantes et indescriptibles qui, toutes trois, n’avaient d’objectif que celui de dévorer les deux autres. Une torche monumentale s’éleva, embrasant tout l’espace, et dans les cieux l’on vit s’élever comme la forme de trois serpents gigantesques s’entrelaçant mortellement avant de disparaître dans la nuit qui revint doucement. Si doucement qu’on ne crut jamais la retrouver.

Lorsque au matin, abasourdis, tous ceux d’Alleuze arrivèrent au village, pas une maison n’était debout, pas une grange, pas un abri. Seul, le château avait gardé son aspect extérieur, ayant perdu tout ce qui se situait sur le passage des trois vouivres. Quant à l’église, elle fut la seule à résister mais les morts reculèrent dans leurs tombes car le cimetière s’était déplacé, désertant son vieil emplacement pour se protéger de la fureur des vouivres.

Il fut décidé de reconstruire le village, mais surtout pas au pied du château, pour se prémunir de tout retour de vouivre. Compte tenu de la population, il fut choisi de faire le plus de hameaux possible pour qu’il y ait toujours un endroit où se protéger si les bêtes revenaient.

Depuis, le village d’Alleuze est éclaté en hameaux dont aucun n’a gardé le nom :

  1. La Barge
  2. Le Bary
  3. Bessol
  4. Estournel
  5. Font-Berline
  6. La Gathe
  7. Laval
  8. Languiroux
  9. Noux
  10. Sallès
  11. Surgy
  12. Vedrines.

Voilà. Mon histoire est bientôt finie. Si je t’ai raconté tout ça, ce n’est pas pour te faire passer le temps sous la pluie. Non, ceci n’est pas un conte ni une légende. C’est simplement l’histoire vraie de ton pays et il faut que tu saches reconnaître à ton tour les emplacements qu’a marqués pour nous Heval Arfeuille et que je suis, juste avant toi, le dernier à les avoir entretenus au cas où la bête reviendrait. Demain, nous partirons marcher sur leurs traces pour que tu puisses à ton tour surveiller les trois passages de la Vouivre.

Clodomir se leva et laissa Pierre Blancon, berger de la Barge d’Alleuze, seul le long des pentes qui descendent vers le château.

Dans la soirée qui suivit notre unique balade, il fit un orage dont les éclairs furent si violents qu’ils en coupèrent l’électricité. Et lorsqu’elle revint, on trouva Clodomir endormi pour toujours dans le fauteuil qui lui servait de soutien.

 

André Ricros

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