Ond anarem gardar

Il s’agit du titre d’une bourrée bien connue, interprétée ici par Antonin Chabrier, violoneux de Riom-es-Montagne dans le cantal, enregistré en Août 1973 par Jean-François Dutertre et Emmanuel Lazinier, et publié dans la double cassette « Cantal, Musiques Traditionnelles » (AMTA).

Ce violoneux présente deux particularités. Il a d’une part un jeu très reconnaissable, on ne peut pas se tromper quand on l’entend. D’autre part, ses versions sont très personnalisées, il a des tournures mélodiques bien à lui. Il semble que sa mélodie soit élastique : les notes d’appui (celles qui sont les plus longues et celles qui sont ornées sur la partition) sont étirées, tandis que les attaques sont anticipées, et les notes de passage sont happées par ces deux mouvements. On a alors l’impression d’entendre un ressac dans la musique, un va-et-vient incessant, puissant et berceur. Il est vraisemblable que cela corresponde aux mouvements de l’archer, dans un sens et dans l’autre à chaque mesure, ce que l’on nomme couramment « le style coulé ». L’archet reste sur les cordes sans se lever, et ce sont les doigts qui articulent la mélodie. Cela donne l’impression d’un moteur rythmique indépendant, soutenu d’ailleurs par le battement des pieds. La mélodie paraît se poser sur la rythmique en se laissant aller.

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Les doubles cordes sont dues à un appui plus marqué sur les notes, l’archet ne se levant pas. On voit, sur la partition, que certaines de ces doubles cordes commencent sur le troisième temps d’une mesure et soutiennent le premier temps de la mesure suivante (voir les liaisons). C’est cela qui marque les anticipations citées plus haut. Toutes les notes se suivent, on ne trouve pas d’intervalles plus grand que la seconde. Cela donne à la mélodie une très grand cohésion et renforce cette idée de ressac : un fil solide semble lier les notes entre elles, elles se tiennent et ne se lâchent plus. Elles s’entraînent les unes les autres, les plus marquées (appuis, notes longues ou en double corde) soumettant les plus passagères. Si Antoine Chabrier devait chanter ce morceau, on ne reconnaîtrait pas forcément cette version : la bourrée semble avoir été adaptée aux possibilités et aux besoins de l’instrument et du musicien, les notes conjointes permettant un jeu plus souple et dynamique. La variation et la personnalisation de la mélodie sont dues à ces adaptations. Comme quoi, le répertoire n’est qu’un outil au service de la musique, l’instrument en est un autre, mais cette musique bat avant tout à l’intérieur du musicien.

Le ressenti de la cadence, l’expression de l’individualité semblent précéder le geste, ce dernier ne faisant que traduire ce qui existe déjà. Si Antoine Chabrier vivait en plein coeur du volcan cantalien, il avait le mouvement de la mer dans la tête et dans les mains.

Eric Desgrugillers

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